Issue d’un groupe de rhythm’n’ blues de l’est de Londres, cette formation est resté associé à l’un des tubes les plus connus de la fin des années 60, » A Whiter Shade Of Pale », avec sa fameuse intro à l’orgue d’église, inspirée de Bach. Auteur de disque passionnants souvent ignorés, PROCOL HARUM s’est inspiré de la musique symphonique romantique comme du cabaret européen, sans oublier le rhythm’n’ blues de ses origines, ce qui lui a valu d’être assimilé au courant de musique progressive. Le guitariste Robin Trower, très influencé par Jimi HENDRIX, y a fait ses débuts.
Une partie d’orgue liturgique, enregistrée à la cathédrale Saint-Paul de Londres et inspirée à Matthew Fisher par un thème de la Suite n°3 en ré majeur de Bach, des paroles surréalistes faisant allusion aux Contes de Canterbury, à L’Illiade et à L’Odyssée, une voix sépulcrale et soul à la fois, une atmosphère solennelle puisée dans les ballades imprégnées de gospel d’Atlantic, en particulier le « When A Man Loves A Woman » de Percy SLEDGE : » A Whiter Shade Of Pale » fut le « slow de l’été » 1967, l’emblème de la période psychédélique, et un n°1 dans le monde entier écoulé à des millions d’exemplaires. Il a pourtant fait oublier l’oeuvre somptueuse d’un des groupes les plus intéressants de la première moitié des années 70.
Les racines de PROCOL HARUM plongent dans l’estuaire de la Tamise, à Southend-on-Sea, à l’est de Londres, en 1961. Les Paramounts sont un excellent groupe de rhythm’n’ blues qui compte dans ses rangs Brooker et Fisher, ainsi que Trower, Chris Copping et Wilson. Brooker est le fils d’un musicien professionnel : formé enfant au piano, il a étudié la composition classique, tout en s’intéressant au jazz et au boogie-woogie. Fisher a reçu une bourse pour étudier à la Guildhall School of Music et a accompagné un temps Screaming Lord Sutch à l’orgue. Les Paramounts ont publié chez le label Parlophone d’EMI cinq 45 tours de 1963 à 1965, dont le premier, une reprise du « Poison Ivy » des Coasters, fin 1963, a connu un petit succès sans suite et suscité les louanges des Rolling Stones. Après la séparation des Paramounts, Brooker a été encouragé à écrire des chansons par Guy Stevens, futur producteur de Mott The Hoople, en s’associant avec le parolier Keith Reid. Au printemps 1967, le duo, assisté de Fisher, recrute par petites annonces d’autres musiciens : le guitariste Ray Royer, le bassiste David Knights et le batteur Bobby Harrison. C’est ainsi qu’est né » A Whiter Shade Of Pale », réalisé par le producteur Denny Cordell. D’abord appelés les Pinewoods, les musiciens ont, à la suggestion de Guy Stevens, changé leur nom en PROCOL HARUM, déformation du pedigree d’un chat siamois appartenant à un de leurs amis.
Le succès fulgurant d’ » A Whiter Shade Of Pale » prendra tout le monde de court. Diffusé sur la station pirate Radio London en mai 1967, il suscite une foule d’appels à la radio, et Cordell le vend aussitôt à Deram, une sous-marque de Decca. N°1 six semaines d’affilée en juin 1967, il atteint le n°5 américain en juillet. PROCOL HARUM doit alors jouer en première partie de Jimi HENDRIX à Londres. Mal préparé, le groupe commence à se déchirer et Brooker a tôt fait de rappeler ses anciens camarades des Paramounts, Robin Trower et Harrison, partis créer l’éphémère Freedom. Pourtant, le 45 tours suivant, « Homburg », semblable mais plus sobre, est loin de connaître le même accueil, et le premier album de PROCOL HARUM est pratiquement ignoré, ce qui contribue à associer longtemps le groupe à un phénomène sans lendemain. Destiné « à être écouté dans l’esprit dans lequel il a été fait », ce disque magnifique, enregistré en mono, a souffert de l’absence de tubes et des vicissitudes du label Regal Zonophone, crée par l’imprésario Tony Secunda avec Giorgio Gromelski. Les compositions, pourtant, comme « Conquistador », sont fortes, le climat prenant, l’entente entre le piano et l’orgue, qui inspirera à The Band, idéale. Le long « Repent Walpurgis », conçu par Matthew Fisher, au cours duquel Gary Brooker interprète une sonate de Bach, est traversé par une magie particulière.
Avec l’album Shine On Brightly (1968), le style de PROCOL HARUM, élégant, solennel et fortement romantique, s’affirme, en particulier avec la longue suite « In Held ‘Twas In I » signée Brooker-Fisher-Reid, qui couvre la quasi-totalité de la seconde face, rivalisant avec le meilleur du psychédélisme britannique, des BEATLES de Sgt Peppers à Pink Floyd. Hélas, ni la splendide chansons-titre ni le 45 tours « Quite Rightly So » ne vaincront le spectre de « A Whiter Shade Of pale », et cet album disparaîtra comme il était venu. Un tournant sera marqué par la parution d’ A Salty Dog , au printemps 1969 ; produit par Matthew Fisher, qui compose et chante de plus en plus, cet album est remarquablement accueilli aux Etats-Unis, où un public d’étudiants s’entiche du plus européen des groupes de rock. PROCOL HARUM a bénéficié aussi d’une bonne audience en Allemagne, sans doute pour ses penchants classiques et son romantisme noir. Sommet de la ballade romantique, la chansons-titre, dont la mélodie est due à Fisher, restera le morceau de bravoure du groupe sur scène. Toujours en tournée, PROCOL HARUM est de tous les festivals, de l’île de Wight à Rotterdam : ce mode de vie aura raison de la santé de Matthew Fisher et de David Knights, qui abandonnent le navire, remplacés par Chris Copping, qui tient à la fois l’orgue et la basse.
Home (1970) est un album sombre et tendu, très marqué par l’influence de Bob DYLAN et de The Band : on y entend des pièces classiques et étouffantes comme « Barnyard Story » ou le sinueux « Whaling Stories », qui évoque John Cale, ou classiquement rock, comme « Whisky Train », hommage au « Mystery Train » d’Elvis PRESLEY, où B.J. Wilson s’affirme un batteur d’une rare puissance. Broken Barricades (1971) est une parenthèse : proche du hard rock, il est très marqué par les interventions de Robin Trower, qui cosigne la moitié des titres et se révèle un remarquable guitariste.
A l’été 1972, Gary Brooker peut enfin réaliser un vieux rêve : enregistrer un album avec un véritable orchestre symphonique et des choeurs. Live In Concert With The Edmonton Symphony Orchestra est un des très rares exemples de fusion heureuse entre le son d’un groupe de rock et celui d’un grand orchestre. La nouvelle version de « Conquistador » qui prend là toute son ampleur, est un tube aux Etats-Unis et on découvre l’étendue de la beauté de « Whaling Stories » voire d' »All This And More ». Le succès sera immense à travers le monde. Après l’intérim de Dave Ball, Mick Grabham a remplacé Trower à la guitare et le bassiste Alan Cartwright a été recruté pour permettre à Copping de se concentrer sur l’orgue. Ce sera la plus stable des formations de Procol Harum, qui enregistre aussitôt un de ses meilleurs albums, Grand Hotel (1973), mêlant la veine mélodieuse et romantique, comme dans la chanson-titre, évocation de la vie opulente dans les palaces au début du siècle, à des titres plus durs comme « Souvenir Of London », sans oublier un véritable classique : le délicieux et désespéré » A Rum Tale ». Exotic Birds And Fruit (1974) sera encore plus robuste, avec des monuments comme « Nothing But The Truth » et « The Idol », avec aussi une des mélodies les plus entêtantes et raffinées de Brooker, « As Strong As Samson ». Dans l’espoir d’obtenir un tube, PROCOL HARUM enregistrera en 45 tours une version du Beau Danube bleu et de l’ Adagio d’Albinoni, avant de solliciter ses idoles de jeunesse, Jerry Leiber et Mike Stoller, pour la production de Procol’s Ninth. Malgré un malentendu initial (auteur de chansons fameuses pour Presley, les Coasters et les Drifters), le duo pensait que Brooker et ses compagnons voulaient dédier un album à leur oeuvre. L’album connaîtra à la rentrée 1975 un grand succès, grâce à un ultime tube, le léger « Pandora’s Box » et une reprise, dans l’esprit du rhythm’n’ blues des années 60, d’ « Eight Days A Week » des BEATLES.
Les tournées sont alors incessantes surtout aux Etats-Unis où le groupe jouit d’une grande réputation. La préparation de l’album suivant, Something Magic (1977), en pâtit : occupant toute la seconde face, une longue suite de Keith Reid, « The Worm And The Tree », est récitée par Brooker qui n’a pas eu le temps de composer les mélodies. L’album et la tournée qui suivent déçoivent beaucoup. Fatigué, sans ressort, PROCOL HARUM n’a guère de force pour résister à l’incendie allumé par les punks à Londres et se sépare en 1977. Après plusieurs albums solo, dont No More Fear Of Flying (1979), produit par George Martin, puis Lead Me To The Water (1982) et Echoes In The Night (1985), Gary Brooker rejoindra le groupe d’Eric CLAPTON. Devenu champion du monde pêche à la mouche, pratiquant la musique pour le plaisir, il a ouvert un pub à Southend-on-Sea. En 1991, il renouera la collaboration interrompue avec Matthew Fisher en reformant PROCOL HARUM avec Keith Reid, Robin trower et le batteur de Big Country Mark Brzezicki, en lieu et place du remarquable B.BJ Wilson, mort des suites d’un accident de voiture sur la Côté Ouest des Etats-Unis alors qu’il était en tournée avec Joe COCKER. Mal distribué, l’album The Prodigal Stranger (1991) tient son rang, mais la tournée qui s’ensuit souffre de l’absence de Robin Trower. Depuis, PROCOL HARUM s’est réuni de temps à autre pour des projets comme The Long Goodbye, Symphonic Music Of Procol Harum (1995) où cette fois les musiciens jouent avec divers orchestres symphoniques londoniens qui reprennent leurs mélodies, invitant une série de chanteurs, dont Tom Jones, qui reprend « Simple Sister ». Le résultat est mitigé mais les compositions de Gary Brooker, Matthew Fisher et Keith Reid ont été conçues pour durer et de fait elles sont inaltérables.