Natifs de New Haven, dans le Connecticut (Étas-Unis), Karen Carpenter (née le 2 mars 1950) et son frère aîné Richard Carpenter (né le 15 octobre 1946) grandissent dans cette ville avant de suivre leur famille à Downey, en Californie. Tous deux dotés d’une superbe voix, ils étudient la musique, lui le piano, elle la batterie, et forment un trio avec Wes Jacobs, vite dissous. En 1966, le trio remporte un concours réservé aux artistes amateurs à l’Hollywood Bowl à Los Angeles, le « Battle of the bands ». Les CARPENTERS décrochent un contrat avec RCA qui ne donnera rien et étudient de près les harmonies de The BEATLES et The BEACH BOYS, qu’ils essaient de reproduire. L’année suivante, ils forment le groupe Summerchimes, changé en Spectrum, avec des collègues étudiants. L’un d’eux est John Bettis, qui écrira ensuite les paroles de nombreuses chansons du duo (puis pour Diana Ross, Madonna et Michael Jackson des années plus tard).

Dénichée par Herb Alpert sur l’album Make Way For Dionne Warwick de 1964, la chanson de Burt Bacharach et Hal David « (They Long To Be) Close To You » est choisie comme nouveau 45 tours, alors que le duo travaillait justement sur de nouveaux arrangements d’autres chansons méconnues de Bacharach pour un concert de charité que celui-ci organisait. Richard Carpenter n’aime pas trop la chanson et l’omet du « medley » qu’il prépare pour l’occasion. Alpert la leur fait enregistrer néanmoins, enjoignant Richard Carpenter d’ajouter quelques glissandi de piano à la fin de chaque vers. Pas à la hauteur, Karen Carpenter est remplacée à la batterie par le vétéran des studios Hal Blaine, tandis que le trompettiste Chuck Findley ajoute la « touche Bacharach ». La voix pure de Karen Carpenter enjolive le tout et l’une des grandes chansons de la musique pop rock contemporaine est née. Les stations de radio « grandes ondes » l’entérinent, la chanson se classe n°1 durant l’été 1970 aux États-Unis, aidant l’album homonyme à se hisser n°2 et à se vendre à deux millions d’exemplaires. « We’ve Only Just Begun », écrit par Paul Williams, est leur deuxième succès dans la foulée, n°2 en octobre suivant.

Les arrangements délicats et la voix d’alto angélique au registre élevé de Karen Carpenter (sur trois octaves) dominent la première moitié des années 1970 ; les CARPENTERS vendent même plus de disques que son rival dans le genre, Simon & Garfunkel, et les récompenses pleuvent. Si le milieu pop rock le dénigre pour ce qu’il qualifie de « sirupeux », l’Amérique profonde adopte ce couple familial si souriant, mignon et aux si belles voix, roucoulant des chansons d’amour sur des tempi moyens, le plus souvent des ballades. La recette fonctionne à merveille et donne de purs joyaux mélodiques et harmoniques, intemporels, à l’encontre de nombre de productions à la mode de l’époque qui ont, elles, bien mal vieilli. Une série impressionnante de hits s’ensuit, parmi lesquels une inévitable « chanson de Noël », puis « For All We Know », début 1971 (Oscar de la meilleure chanson de film pour Lovers And Others Strangers), le splendide « Rainy Days And Mondays » en mai, « Superstar », écrit par Leon Russell, en septembre, est inclus dans le troisième album Carpenters qui se vend deux fois plus que le précédent. Cent quarante cinq concerts et dix apparitions à la télévision dans l’année ont aidé à sa promotion : il reçoit le Grammy Award du meilleur album de l’année par un duo ou groupe vocal.

Richard Carpenter devient maître dans le choix des chansons qui conviennent le mieux à sa soeur. En témoignent « Goodbye to Love » en 1972 (orné de deux soli de guitare saturée, ce qui leur vaudra des lettres d’insultes de la part d’un public outré) et surtout le joyeux « Sing », début 1973, avec son introduction miraculeuse à la flûte et à la trompette, enchaînée avec la voix calme de Karen Carpenter : « sing our song, sing it out loud, sing it out strong », et un choeur d’enfants puis d’adultes pour le long refrain ; une vraie trouvaille efficace. Les CARPENTERS envahissent les ondes et les bacs cette année-là : « Yesterday Once More » de Carpenter et Bettis (qui écrit là l’un des premiers textes nostalgiques sur la musique des années 1960) est le véhicule irrésistible pour Karen Carpenter, soutenue par de discrets violons et des « shoo bi doo la la la wow wow » à fondre.

En mai, les CARPENTERS sont invités à se produire à la Maison-Blanche pour le président Richard Nixon. La compilation Singles 1969-1973 est un énorme succès commercial pour les fêtes de fin d’année, incluant le nouveau 45 tours country « Top of the World », qui est n°1 le 1er décembre 1973. Un an plus tard, leur reprise de « Please Mr. Postman » de The Marvelettes, déjà n°1 dans sa version originale en 1961, l’est une seconde fois par les Carpenters le 25 janvier 1975, suivi dans la foulée par une autre composition Carpenter/Bettis, « Only Yesterday ».

Après une douzaine de 45 tours qui ont été disques d’or et près de quatre cents concerts donnés en 1973 et 1974, les CARPENTERS marquent le pas et ne s’en remettent pas, malgré la popularité qu’ils ont accumulée, aux États-Unis comme en Grande Bretagne et surtout au Japon. Leur reprise de « Solitaire » de Neil Sedaka n’est pas le tube espéré en 1975, ni celle de « Breaking Up Is Hard to Do » du même, en 1976. Et l’album Horizon n’a pas dépassé le million de copies vendues.

La mode change et en 1976, les harmonies vocales n’ont plus la faveur du public lassé, et sûrement plus celle de la nouvelle génération, réfractaire à leurs dents blanches et aux arrangements qualifiés de sirupeux. La vague disco prend le dessus, bientôt suivie par la déferlante punk. Leur musique passe presque instantanément à la trappe et leur reprise de « There’s a Kind Of Hush (All Over the World) », du groupe anglais Herman’s Hermits, est le dernier hit des CARPENTERS en mars 1976. Une cinquantaine de concerts prévus est annulée et leurs apparitions à la télévision se font rares. Karen Carpenter est épuisée et a considérablement maigri (elle s’est évanouie lors d’un concert à Las Vegas en 1975), tandis que son frère est accoutumé aux sédatifs.

Le duo tente néanmoins de se maintenir et y parvient par épisodes, avec les cent soixante chanteurs et musiciens utilisés pour le titre « Calling Occupants of Interplanetary Craft », paru en octobre 1977 (n°9 en Angleterre), puis avec « Sweet Sweet Smile », de Juice Newton (la créatrice de « Queen of Hearts »), en 1981. Richard Carpenter au repos, sa soeur enregistre un album sans titre en mai 1979 avec le producteur Phil Ramone et une partie de l’orchestre de Billy Joel. Les réactions à l’écoute du résultat sont si négatives qu’elle décide d’enterrer son projet. Ce disque pourtant agréable ne verra le jour qu’en 1996.

En 1980, les CARPENTERS proposent leur propre show télévisé sur la chaîne ABC, Music Music Music, dans lequel il invite Ella Fitzgerald. C’est une Karen Carpenter en meilleure forme qui se marie avec l’entrepreneur Tom Burris en août 1980, dont elle divorce à la fin de l’année suivante. En juin 1981, l’album du duo Made in America est un échec total, bien que « Touch Me When We’re Dancing », leur dernier succès, pénètre le Top 20. Un an plus tard, Karen Carpenter, dont la santé a brutalement décliné, est admise dans un hôpital new-yorkais. Terrifiée à l’idée de prendre du poids, son abus de médicaments pour soigner une glande thyroïde, dont elle ne souffre pas, et de laxatifs, l’a rendue anorexique. Son rapide regain de poids lors de son hospitalisation (quinze kilos en un mois) a épuisé son coeur : la grande voix des années 1970 s’éteint à 32 ans le 4 février 1983, à l’hôpital de Downey, en Californie, où résident les parents du duo.

Sa disparition a entraîné une prise de conscience bénéfique de la part du public anglo-saxon sur les dangers de l’anorexie comme de la boulimie. Son frère entame alors une série de diffusions de la partie encore inédite du répertoire enregistré des CARPENTERS, tout en poursuivant une carrière solo sans relief, marquée par l’album Time (1987). Il interdit la diffusion à la télévision d’un documentaire fictif, Superstar : The Karen Carpenter Story, mais permet celle d’un autre documentaire auquel il a collaboré, The Karen Carpenter Story, en 1989.

Méprisé par l’intelligentsia du milieu musical en son temps, l’art de ce duo unique a pourtant résisté au temps et a même été réhabilité par certains critiques, grâce à des mélodies mémorisables et des arrangements à la fois subtils et somptueux, d’un écrin parfait pour l’une des plus belles voix féminines de la musique populaire américaine du XXe siècle. Malgré une pétition circulant sur internet, les CARPENTERS ne sont pas admis au Rock and Roll Hall of Fame. Un album-hommage est sorti en 1994, If I Were a Carpenter, avec les participations de Sonic Youth, The Cranberries, Sheryl Crow, 4 Non Blondes, Redd Kross et Grant Lee Buffalo. En 2018, c’est dans un style très différent qu’est conçu le projet Carpenters with the Royal Philharmonic Orchestra, arrangé, conduit et produit par Richard Carpenter.